Entretien avec Benjamin, gagnant de Juillet

C’est en « 1984 » que l’on plonge aux côtés de Benjamin, gagnant de cet avant dernier thème de notre concours de la Pelloche d’Or. Coutumier d’explorer  et de raconter le monde qui l’entoure, cette entrevue nous offre un aperçu de sa pensée vive et analytique sur l’art de la photographie. Un récit qui nous invite à poursuivre notre réflexion sur nos pratiques et usages en retour. 

Pelloche-Moi : Bonjour Benjamin ! Le jury a désigné ta photo gagnante pour le thème 1984, félicitations !
Pourrais-tu te présenter à la communauté de Pelloche-moi ?

Benjamin : J’ai 28 ans et je suis journaliste en région parisienne. Mon métier consiste à questionner et raconter la société avec des mots. Si elle nourrit tout autant ma curiosité, ma passion pour la photographie est quant à elle moins bavarde !
Depuis trois ans, j’arpente les villes et les lieux sur mon temps libre. J’aime énormément ces moments de solitude où je me considère comme un témoin silencieux qui observe simplement des scènes de vie. Parfois je lève mon appareil photo pour les saisir. Ce contact extrêmement puissant avec le réel me pousse aujourd’hui à essayer de croiser mon métier et ma passion et à m’orienter vers le reportage. En bref, de proposer une lecture du monde par les images.

« En photographie argentique, j’ai l’impression de m’approprier ma photo en la vivant »

Autoportrait @Benjamin_Godart

Peux-tu nous raconter les coulisses de la photographie proposée pour notre concours ?

Je me suis souvent rendu dans le 13e arrondissement lorsque je suis arrivé dans la capitale en 2018. Dans ce quartier se trouve la dalle des Olympiades qui résulte d’une politique de rénovation urbaine entamée à la fin des années 1960. Ces immenses ensembles verticaux complètement surannés m’ont toujours étrangement attiré. J’y retourne régulièrement pour constater à quel point cet endroit est vide. Tous les commerces sont isolés et les rares passants dispersés semblent écrasés par la masse des immeubles au-dessus de leurs têtes.

Cette fois j’ai pris mon Pentax Program A et une pellicule noir et blanc (Rollei RPX 400) : en contre-plongée, coincée entre deux bâtiments grâce à la focale, la soucoupe qui surplombe les toits des boutiques renforce cette atmosphère étrange d’écrasement.

“1984” est l’un des thèmes les plus atypiques proposé lors de notre concours. Comment l’as-tu abordé en photographie ?

« 1984 » évoque d’emblée l’univers dystopique créé par George Orwell qui a fait l’objet de beaucoup d’adaptations graphiques (BD, cinéma, courts-métrages, etc). Cette œuvre littéraire résonne particulièrement dans notre société actuelle puisqu’elle questionne les rapports de pouvoir, le contrôle, la violence. La ville est le théâtre de tous ces évènements.
Pire dans le cas du livre d’Orwell, elle y tient un rôle central : il n’y a presque pas d’angle mort pour Big Brother qui va jusqu’à surveiller la population parquée dans les appartements.

L’adaptation en roman graphique dessiné par Xavier Coste explore particulièrement cet aspect avec les perspectives et l’architecture dans lesquelles évoluent les personnages.
Lorsque je l’ai lu, j’ai été frappé par la ressemblance de ces masses sombres d’immeubles avec l’urbanisme typique des années 1970. La dalle des Olympiades reflète l’urbanisme « moderne » des villes planifiées. Ces successions de blocs uniformes ont ensuite été critiqués dans les années 1980. Dans ma photo, le noir et blanc représente la grisaille, ce côté fade et standardisé des immeubles. La soucoupe en contreplongée – rappelant au passage la forme d’un œil – fait écho à la fois à la surveillance et à cet univers urbain décrié qui écrase les habitants de tout son poids.

Le lieu de ta photo semble surréaliste ! Quels sont les endroits qui t’ont le plus marqué lors de tes shootings ?

Je suis fasciné par la ville et la rue, par la façon dont les humains les habitent. En ce moment je suis plutôt sensible à l’aspect géométrique des lieux que je photographie donc j’explore les compositions propres à la photo d’architecture, tout en m’assurant que l’humain n’est jamais très loin.

En juin je me suis rendu à Londres et je me suis retrouvé à shooter au pied du Lloyd’s Building dans le quartier des affaires de la City. Cette tour atypique, à l’allure futuriste, m’a complètement scotché. C’est un ballet incessant de salariés entrant et sortant dans des ascenseurs qui montent et descendent le long d’une façade en métal. Dans un style complètement différent, le foisonnement, les contrastes et les couleurs vives des villes marocaines où je me suis rendu cet été m’ont particulièrement inspiré.

 

« Photographier, c’est devenir un témoin silencieux qui observe des scènes de vie »

Couleurs marocaines @Benjamin_Godart

Si on pouvait te donner une machine à remonter le temps, quelle décennie voudrais-tu photographier ?

Sans hésitation j’irais dans l’Angleterre du XIXe siècle entre 1840 et 1850 au moment où la révolution industrielle a durablement changé les modes de vie et le visage des villes. À cette époque, la photographie était encore balbutiante et j’aimerais y retourner avec les appareils argentiques plus récents. Je suis particulièrement admiratif des toiles de William Turner, bien qu’il ne peigne presque pas la ville à cette période. J’aimerais beaucoup expérimenter en transposant ce style précurseur de l’impressionnisme à la photographie de rue.

Si l’on en revient au présent, notre monde plébiscite le numérique pour la prise d’images. Pourquoi choisir l’argentique ?

À l’occasion d’un évènement chez Magnum, j’ai posé la question inverse à Raymond Depardon, lui qui a travaillé une grande partie de sa carrière en argentique. Il m’a alors répondu que le numérique mettait la photo à la portée de tous, que ça encourageait la créativité et que ça permettait de faire émerger de jeunes artistes très talentueux. Quelque temps plus tard, sur le festival de Cannes il apparaissait dans une vidéo sur Brut, son smartphone à la main, pour expliquer comment faire une bonne photo simplement avec cet appareil, exemple à l’appui. Démonstration implacable.

Alors je me suis moi-même interrogé sur ma pratique de l’argentique. Finalement je l’ai simplement choisie pour son aspect tangible car l’expérience est différente. Le choix du type d’appareil, la composition patiente d’un cadre, l’attente, puis l’excitation du développement maison des pellicules, et enfin le scan et le classement… j’ai l’impression de m’approprier ma photo en la vivant ! Avec un smartphone ou un reflex, je les oublierais aussitôt et elles dormiraient tranquillement enfouies dans dossier sur mon ordinateur.

 

Un appareil photo argentique préféré ?

Le Rollei 35SE, même si je l’aime autant que je le déteste. Le système télémétrique est tellement particulier par rapport à la visée reflex classique, qu’il a de quoi déstabiliser. (En plus la cellule de mon posemètre ne fonctionne plus !) Ce type d’appareil est moins polyvalent que le reflex mais son gros avantage réside dans son poids plume et sa petite taille. Il passe partout et se prête parfaitement à la photo de rue discrète. Les objectifs Tessar ou Sonnar des gammes 35 offrent un excellent piqué.

Quel est ton ou ta photographe préféré et pourquoi ?

J’admire beaucoup le photojournaliste Eugene W. Smith tant pour son utilisation du noir et blanc que pour la « teinte » sociale de ses sujets. Sa philosophie résolument humaniste donne une saveur particulière à toute son œuvre.

Un conseil à donner pour un apprenti-photographe argentique ?

Soyez riche, ou du moins prêts à dépenser énormément car l’argentique coûte bien plus cher que le numérique ! Blague à part, si vous avez un peu de budget, achetez un appareil entièrement manuel, shootez différents sujets avec des types de pellicules variées et expérimentez en pur autodidacte la gestion de la lumière et de la vitesse. À mon sens c’est une bonne école pour avancer dans sa pratique et trouver sa patte. Autrement, optez pour un appareil semi-automatique (à priorité ouverture ou vitesse) et concentrez-vous davantage sur vos sensations et l’expérience que vous vivez lorsque vous sortez prendre des photos.
C’est essentiel.

Un grand merci à Benjamin d’avoir accepté de répondre à nos questions !  Vous pouvez la suivre sur son instagram  pour découvrir son univers ! Benjamin, nous te donnons rendez-vous en fin d’année pour la grande finale de la Pelloche d’Or, le 6 décembre prochain où ta photo sera exposée !

Le concours thématique est désormais clôs ! Vous pouvez retrouver les photos finalistes sur notre instagram et sur notre site lors des précédentes interviews. Toutes les infos pour la grande finale de la Pelloche d’Or seront bientôt disponibles sur la page dédiée de notre site, et sur notre compte instagram @Pellochemoi

Un commentaire sur “Entretien avec Benjamin, gagnant de Juillet

  1. vist dit:

    Très intéressante interview de ce jeune photographe qui a bien saisi les enjeux de notre société où s’installe la surveillance à outrance. Quelle maturité d’esprit.
    Oui le Rollei 35 est un boîtier magnifique qui est aussi toujours dans ma poche : cette « mignonnerie » suscite souvent le sourire auprès des personnes photographiées, « c’est si petit ça na peut pas faire de photo ». Le roi de la rue !

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