Lionel est notre gagnant de la thématique “Démocraties” du concours de la Pelloche d’Or. A travers cet entretien, nous découvrons son regard sur le monde, qu’il parcourt et observe, avec bienveillance.
Pelloche-Moi : Bonjour Lionel ! Ta photo a remporté la thématique “Démocraties”, félicitations ! Pourrais-tu te présenter à nos lecteurs ?
Lionel : J’ai 54 ans et je suis enseignant-chercheur à l’Université d’Aix-Marseille, où je suis un géologue, spécialiste en nucléides cosmogéniques — des isotopes exotiques formés dans l’environnement terrestre sous l’effet des particules cosmiques (mais ça c’est une autre histoire).
Je vis à Aix-en-Provence, une ville qui offre un cadre idéal pour concilier travail et qualité de vie. Je ne suis pas un photographe professionnel.
Depuis de nombreuses années, je collabore avec des chercheurs internationaux, notamment des équipes taïwanaises et brésiliennes. Ces collaborations enrichissent mon travail et les voyages me permettent une pratique de la photographie diversifiée (paysage, portrait). J’apprécie particulièrement explorer diverses traditions et cultures, ce qui nourrit ma curiosité et ma compréhension des nuances qui enrichissent notre vision du monde.
“Une photographie peut cristalliser l’essence même de la liberté — qu’elle soit protégée, menacée ou en quête de reconnaissance.”
Peux-tu nous raconter l’histoire de la photographie proposée pour notre concours ?
Lors de mon dernier voyage à Taiwan en juin, j’ai revisité quelques lieux que j’avais connus lorsque je vivais à Taipei il y a quelques années. Cette photo a été prise spontanément après la relève de la garde au Mémorial de Chiang Kai-Shek. J’ai trouvé intéressant de proposer cette image au concours. Je l’ai intitulée « Democracy Needs Symbols ».
La statue de Chiang Kai-Shek, bien qu’elle rappelle un passé autoritaire, demeure un symbole complexe dans l’histoire de Taïwan. Le garde que j’ai photographié, en poste devant cette statue, peut être perçu comme un protecteur de la souveraineté taïwanaise, dans un contexte où Taiwan doit continuellement se défendre contre les pressions de la Chine continentale. Cette juxtaposition met en lumière l’ironie des tensions actuelles : Taïwan, aujourd’hui une démocratie florissante, reste symboliquement liée à un passé autoritaire, tout en étant sous la menace constante d’une intervention extérieure.
Pour cette photo, j’ai utilisé mon Rollei 35 avec un film Phoenix 200 ASA de Harman, une nouvelle émulsion que je ne maîtrise pas encore totalement. La lumière était faible, et j’avais des doutes sur le résultat final. J’ai pris deux clichés du garde devant la statue et les drapeaux. Au final, la photo est contrastée, avec les couleurs des drapeaux se détachant nettement sur la statue en ombre chinoise. La baïonnette du fusil rappelle que la paix a un prix. L’actualité internationale nous le rappelle chaque jour.
Ce thème “Démocraties” peut faire écho à la notion de liberté. La photographie peut-elle éveiller les consciences ?
Oui, la photographie peut certainement éveiller les consciences, surtout lorsqu’elle aborde des thèmes aussi fondamentaux que la démocratie et la liberté. Une image a le pouvoir unique de capturer un moment précis, un symbole ou une émotion qui transcende les mots et touche directement les gens. En ce sens, la photographie devient un moyen puissant de communication, capable de dénoncer des injustices, de célébrer des victoires ou d’inspirer des réflexions profondes sur les valeurs démocratiques et les libertés individuelles.
Dans le cadre de ce thème « Démocraties », une photographie peut cristalliser l’essence même de la liberté — qu’elle soit protégée, menacée ou en quête de reconnaissance. Des clichés iconiques, tels que ceux des manifestations pour les droits civiques aux États-Unis ou des moments historiques de libération nationale, illustrent comment la photographie a non seulement documenté les luttes pour la liberté, mais a aussi contribué à façonner l’opinion publique et à mobiliser l’action collective. Ces images sont devenues des symboles universels, rappelant à la fois les sacrifices nécessaires pour atteindre la liberté et les défis constants pour la préserver.
En plus de son rôle documentaire, la photographie peut aussi être un catalyseur de prise de conscience collective. Elle a la capacité de cristalliser des enjeux complexes en une seule image, accessible et compréhensible par tous. Une photo peut ainsi déclencher des discussions, encourager des réflexions plus profondes, voire inciter à l’action. Elle devient alors un outil non seulement pour raconter l’histoire, mais aussi pour la faire. Dans un monde où l’image est omniprésente, la photographie reste un moyen irremplaçable de sensibiliser, d’éduquer et de rappeler l’importance des valeurs démocratiques et des libertés individuelles.
Quelle place pour l’art, et notamment la photographie, dans le monde actuel, selon toi ?
Je ne suis pas un spécialiste en art, mais à mon sens, l’art contemporain joue un rôle crucial dans notre société, en tant que miroir de notre époque. Il capture la complexité des réalités que nous vivons, en repoussant constamment les frontières de l’expression artistique. Ce qui me touche particulièrement, c’est la manière dont l’art contemporain ne se limite plus aux formes traditionnelles. Les artistes explorent une variété de médias, allant des installations interactives aux œuvres numériques audacieuses, ce qui leur permet d’aborder des thèmes actuels avec une profondeur et une originalité qui résonnent profondément.
La globalisation a certes ouvert de nombreuses opportunités pour enrichir et diversifier l’art et la photographie, mais elle présente également des risques, notamment celui de la standardisation et du maintient de certaines hiérarchies culturelles. Il est donc essentiel que l’art continue de célébrer la diversité des points de vue tout en restant vigilant face à ces défis.
En ce qui concerne la photographie contemporaine, je trouve qu’elle possède un pouvoir unique pour capturer et questionner notre monde. Pour moi, elle dépasse largement la simple capture d’image ; c’est un outil puissant de narration capable de toucher profondément ceux qui la contemplent. Ce qui m’intéresse particulièrement, c’est la manière dont certains photographes intègrent les communautés dans leur processus créatif, rendant leur travail plus inclusif et participatif.
Des photographes comme Raghu Rai, dont le travail met en lumière les réalités des communautés marginalisées en Inde, ou Diana Markosian, qui explore des récits personnels et communautaires, illustrent parfaitement cette approche. Leur photographie offre une perspective riche et diversifiée sur les expériences humaines, et enrichit le dialogue autour des enjeux sociaux, culturels et environnementaux. Pour moi, ces approches participatives sont particulièrement intéressantes car elles font de la photographie un reflet vibrant et engagé de notre société.
“Le processus argentique est presque méditatif, il m’offre une évasion précieuse. “
Street : Martin*, le squelette de la Taverne de Platon (Cabinet de curiosités Aix-en-Provence, Février 2024) @Lionel.Siame
*référence aux « Disparus de Saint-Agil », film de Christian-Jaque (1938) et adaptation du roman éponyme de Pierre Véry (paru en 1935)
Comment as-tu débuté la photographie ?
La photographie a toujours fait partie de ma vie. Mon grand-père était passionné et mon père a perpétué cette passion. Ils avaient chacun un petit labo photo. Enfant, j’ai participé à des ateliers dans un club local, et mon premier reflex, un Praktica, était un veritable « tank ». J’ai l’impression d’avoir toujours fait de la photo ! A part une parenthèse numérique entre 2005 et 2015, j’ai toujours pratiqué l’argentique.
Qu’est-ce qu’une photo réussie, selon toi ?
Pour moi, une photo réussie est souvent celle qui capture l’instant décisif, ce moment où tout s’aligne parfaitement pour créer une image forte et évocatrice. C’est ce que Henri Cartier-Bresson a popularisé, et je trouve qu’il n’y a rien de plus fascinant que ce moment précis où l’action, l’expression ou la situation sont capturées avec une intensité particulière.
Bien que je ne pratique pas beaucoup la photographie de rue, je suis admiratif des images qui parviennent à saisir ce moment fugace avec précision. Ces photos témoignent souvent d’une grande maîtrise de l’observation et de la technique, et parfois d’une dose de chance! Je suis moins sensible aux photos prises de trop près, à la volée, où une certaine agressivité peut parfois enlever de l’authenticité au moment capturé.
Dans un monde où le numérique facilite la prise d’images, pourquoi choisir l’argentique ?
Choisir l’argentique peut sembler contre-intuitif, mais il y a plusieurs raisons qui en font une option attrayante selon moi. Bien sûr, les films argentiques offrent une qualité d’image unique, avec des nuances de couleurs ou de gris et une profondeur que le numérique peine parfois à reproduire (malgré les nombreux presets vantés sur les réseaux sociaux pfff…). Le grain du film peut ajouter une texture et une dimension esthétique particulière. En outre, la photographie argentique évoque une dimension nostalgique et authentique, rappelant une époque où chaque photo était le résultat d’un processus plus lent et plus artisanal. Dans un monde où tout va trop vite, je pense que cela explique en partie, au-delà des effets de mode, le boom de la pratique que l’on observe ces dernières années. Et tant mieux car cela renforce le marché du film!
Ce qui me rend l’argentique si captivant, c’est le côté “bidouille” de la chimie photographique et des expérimentations sous l’agrandisseur pour obtenir le tirage souhaité. Le processus, de la prise de vue à la cuve de développement, est presque méditatif et m’offre une évasion précieuse. J’apprécie également le fait d’attendre les résultats, ce qui ajoute une dimension transitoire à des images par définition latentes. En fin de compte, je trouve que mes plus belles photos sont celles que j’ai ratées, celles qui sont restées dans mes souvenirs, ce qui rend chaque moment de ce processus encore plus précieux.
Paysage d’inselbergs granitiques (Quixadá, Ceará, Brésil, août 2022)
Trois, en fait ! Tout d’abord, le Rolleiflex Tessar 3.5, véritable joyau qui offre une qualité d’image exceptionnelle avec une netteté et une profondeur remarquables. J’adore la manière dont il capture les détails avec une précision incroyable.
Ensuite, il y a le Rollei 35. Ce petit appareil est super pour la mise au point au jugé et idéal pour pratiquer l’hyperfocale. Sa compacité le rend facile à utiliser et à emporter partout, tout en offrant une qualité d’image très solide.
Enfin, je ne peux pas oublier mon Zorki 4K. Ce qui le rend unique, c’est le bruit caractéristique de son déclencheur – un « schlack » métallique qui rappelle le charme rustique de la photographie argentique (et de la solidité des mécaniques soviétiques). C’est un rangefinder précis, entièrement mécanique, parfait pour les photos en mode tout terrain. Je l’utilise beaucoup sur le terrain lors de mes missions.
Chacun de ces appareils a son propre style, et ils me sont tous essentiels pour capturer des moments spéciaux.
Quel est ton ou ta photographe préféré(e) et pourquoi ?
Assurément Sebastião Salgado ! Il est un photographe remarquable dont le travail est à la fois puissant et profondément humain. Il aborde des thèmes variés avec une grande sensibilité, que ce soit dans ses reportages sur les conditions sociales et politiques, ses portraits des paysages naturels et des animaux, ou ses projets sur l’environnement. Son regard unique et son engagement envers les sujets qu’il photographie en font une source d’inspiration inépuisable.
Le travail de reforestation de Salgado dans le Minas Gerais, visant à restaurer un écosystème dégradé, résonne aussi tout particulièrement avec mes recherches sur l’impact des activités humaines sur les processus d’érosion. En somme, je suis un grand fan !
Un conseil à donner pour un apprenti-photographe argentique ?
Soyez patients et acceptez les échecs comme partie intégrante du processus. La photographie argentique est souvent une aventure d’essais et d’erreurs, et chaque image ratée est une opportunité d’apprendre et de s’améliorer. Choisissez un appareil avec lequel vous vous sentez à l’aise, même s’il n’est pas le modèle le plus sophistiqué.
Ce qui compte le plus, c’est la connexion que vous établissez avec votre équipement et la manière dont vous l’utilisez pour exprimer votre vision artistique. Ce qui compte c’est l’image obtenue et pas tellement le matériel ou le film utilisé finalement…
Xique-xique – Free Hug! (Ceará, Brésil, septembre 2021) @Lionel.Siame
Un grand merci à Lionel pour cet échange passionnant et profondément humain. Vous pouvez la suivre sur son instagram pour découvrir ses photographies ! Lionel, on te donne rendez-vous en fin d’année pour la grande finale de la Pelloche d’Or où ta photo sera exposée !
Le concours thématique est désormais clôs ! Vous pouvez retrouver les photos finalistes sur notre instagram et sur notre site lors des précédentes interviews. Toutes les infos pour la grande finale de la Pelloche d’Or seront bientôt disponibles sur la page dédiée de notre site, et sur notre compte instagram @Pellochemoi
Les expeditions sont en pause jusqu'au mardi 15 octobre pour cause de participation au salon de la photo !
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